Allemagne : dois-je partager mes bonbons ? le thème de la "justice" dans le cours d'éthique du CP et du CE

Déjà les jeunes enfants rencontrent sans cesse, lors des jeux ou dans leur famille, des problèmes concernant des actions justes ou injustes. Le cours d'éthique au primaire leur permet d'approfondir avec leurs pairs ces questions difficiles, et de réfléchir sur leur propre comportement.

Dans le cours d'éthique, la moralité de l'agir humain se trouve au premier plan. Les enfants doivent étudier des thèmes éthiques comme la justice, le bien et le mal, ou l'amitié, ainsi que les règles du vivre ensemble. Les recommandations incluent aussi des champs problématiques tels que le travail et le métier ou l'environnement, la nature et le temps. Ceci montre que l'idée directrice de l'enseignement ne contient pas seulement des réflexions éthiques, mais aussi des problématiques de la théorie de la connaissance (le temps) et de l'anthropologie (l'homme et la nature, l'identité).

Notamment les programmes scolaires de la Saxe (2004, p. 3), de Saxe-Anhalt (2005, p. 6) et de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (2003, p. 16) s'appuient, dans leurs recommandations, sur la méthodologie du philosopher avec des enfants, et fixe comme principal objectif le développement de réflexions personnelles relatives à des problèmes éthiques. Pour atteindre ce but, on recommande, particulièrement en Saxe et en Saxe-Anhalt, de travailler le concept.  Par exemple, lorsque l'on traite de la justice, il est conseillé de réfléchir sur ce que l'on entend par là. Diverses possibilités existent, par exemple la recherche de notions similaires "Quels mots ont à faire avec le mot "juste" ?". Une autre méthode favorise la capacité d'argumenter : quelqu'un agit de manière juste, parce qu'il ne lèse personne. Les enfants sont sans cesse incités à étayer leurs points de vue par au moins un argument pour expliquer pourquoi ils pensent cela.

La discussion est particulièrement intéressante, lorsqu'elle est menée sous forme de discussion socratique (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) ou réflexive (Saxe). L'objectif est que chaque enfant puisse exprimer sa position argumentée relative à un problème comme "juste ou injuste". Au terme de la discussion, les enfants devront avoir trouvé une solution commune (consensus). Si ceci n'est pas possible, les différents points de vue argumentés restent posés (dissension) : nous ne pouvions nous mettre d'accord pour savoir si, dans le cas discuté, la personne a agi juste et nous réfléchirons à la maison.

La quatrième incitation didactique des plans-cadres se rapporte au développement d'idées créatives, appelé aussi   expérience de pensée : "Imagine, les hommes ne connaîtraient pas le mot "juste", est-ce qu'ils ne pourraient pas agir de manière juste ? Pourquoi ? Pourquoi pas ?" (Brüning, 2001, p. 19-44). Les expériences de pensée donnent aux enfants l'occasion de réfléchir sur des situations ou possibilités d'actions éthiques qui n'existent pas dans la réalité, ce qui leur permet de clarifier leurs représentations.

La justice commutative et (re)distributive

Depuis l'Antiquité, la justice fait partie des thèmes les plus importants de la tradition philosophique. Aristote différencia la justice commutative, du type de l'égalité arithmétique, selon laquelle un échange est juste quand chaque terme est échangeable contre un troisième (équivalences entre choses, le plateau de la balance équilibré) ; et la justice distributive, en fonction du rang, des mérites, des oeuvres, des besoins. Elle est plutôt redistributive aujourd'hui, compensatoire des inégalités socioéconomiques. Un troisième aspect concerne les droits communs de tous les hommes. Selon le philosophe américain John Rawls (1921-2000), les mêmes droits pour les hommes - les Droits de l'homme qui posent par écrit la dignité des hommes - sont un composant essentiel de la justice (Rawls, 1998, p. 110).

Dans les plans-cadres officiels, on trouve surtout la justice compensatoire, qui distribue pour corriger les inégalités, et les Droits de l'homme, notamment les Droits de l'enfant : en Thuringe par exemple, le droit à l'attention, à l'assistance et à la formation, dans les classes de CP et de CE1 ; le problème des défavorisés dans la société dans les classes de CE2 et CM1 (Ministère de l'éducation et de la culture, 2003, p. 193 et 204). Ceci permet de réfléchir sur les conventions des Nations Unies relatives aux Droits de l'enfant, et de s'exercer à définir le concept de "droit". En Saxe-Anhalt, on traite avant tout le thème de l'"injustice" avec les champs problématiques de la discrimination, de l'exclusion et du harcèlement moral. (Ministère de l'éducation et de la culture 2005, p. 11).

Un juste partage de bonbons : une proposition didactique

En jouant, les enfants font déjà l'expérience de l'agir juste et injuste. Pour cette raison, ce thème devrait être abordé dès le CP et le CE1. L'histoire suivante peut être proposée :

Tim a construit une cabane avec son père. Après l'avoir terminée, il invite quatre amis pour une fête. Lorsqu'ils sont assis à cinq dans la cabane, Tim constate avec effroi, qu'il n'a mis que quatre bonbons dans sa poche. Qu'est-ce qu'il doit faire maintenant ?

Dans un premier temps, les enfants forment des groupes de cinq élèves. Chaque groupe reçoit quatre bonbons : "Imaginez, vous êtes assis, comme Tim et ses amis, à cinq dans une cabane et vous avez quatre bonbons. Discutez pour savoir comment partager de manière juste les bonbons. Trouvez une solution ! Désignez un enfant du groupe pour présenter votre solution et pour expliquer aux autres élèves de la classe, pourquoi vous avez trouvé que cette solution est juste" (exercice d'argumentation). Les différentes solutions sont alors discutées par l'ensemble des enfants et toutes restent valables, à moins que les enfants ne se mettent d'accord sur la solution qu'ils pensent être la plus juste.

Dans un deuxième temps, on travaille sur le concept. Pour cela, l'enseignant apporte une balance et la pose sur la table, ainsi que des bonbons : "Vous avez trouvé une solution pour les bonbons de Tim : comment ils pouvaient être partagés de manière juste. Réfléchissons maintenant ensemble, ce que ça veut dire, partager de manière juste. Qui peut nous le montrer avec la balance ?"

Ceci doit démontrer les deux formes de la justice : avoir autant (justice commutative : les plateaux s'équilibrent), et compenser (justice redistributive : si un plateau est en bas, on doit en mettre plus sur l'autre). En guise de résultat, l'enseignant pourrait résumer les deux variantes avec l'aide des enfants. Dans un troisième temps, on réfléchit sur le couple de concepts "juste et injuste" : "Dans le cas de Tim, quelle solution aurait été injuste ?" (Un enfant ne reçoit pas de bonbon, etc.). Ceci peut être ensuite stabilisé avec un petit jeu à l'aide d'expériences de pensée : " Si tous reçoivent un bonbon, mais pas Sarah, alors ...". Les élèves doivent formuler la fin de la phrase. "Si tous les enfants mangent une portion de gâteau, et que Tom n'en reçoit pas, alors ...". Les élèves sont incités à former d'autres phrases, par exemple dans un travail de groupe.

Pour finir, les enfants doivent faire un dessin. "Tim a deux bonbons, mais Mélanie seulement un : dessine une solution juste !" ; "Tanja mange deux portions du gâteau d'anniversaire et laisse un seul morceau pour son frère : dessine une solution juste !" Les dessins des enfants peuvent être un point de départ pour un nouveau travail autour du thème de la justice (Brüning ; Schöne ; Verch, 2005).

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Texte traduit par J. Treiber-Leroy, doctorante en philosophie pour enfants.