Autour de la méthode

Agrégé de philosophie, auteur de nombreux ouvrages et directeur de collection chez Ellipse, Jean-Pierre Zarader a été l'un des premiers philosophes à prêter son concours à " Carré de nature, carré de culture ". Dans " Y aller ou pas ? ", un texte publié par Diotime en mai 2001, il rendait compte de cette expérience. Avec un recul de cinq ans, nous lui avons demandé si cette opération avait modifié sa conception de son enseignement.

" Ce que cela m'a apporté ? Á moi ? " (temps de silence, mémoire emballée, la réflexion en mode turbo). " La peur, je crois. La peur, dans tout ce qu'elle comporte de moteur ". Alors, la peur qui fait relire d'un oeil neuf les textes à présenter aux élèves : " Je l'ai lu je ne sais combien de fois ce texte, mais à l'occasion de mon premier cours avec des SEGPA, j'ai découvert de nouvelles choses dans le Banquet de Platon. Peut-être parce que j'ai cherché, cette fois-là une approche plus physique du texte. Comment vais-je arriver à accrocher, à séduire ce nouveau public avec ce texte ? ". Avec des élèves de Terminale ou de classes préparatoires, le quotidien s'installe à mesure de l'année scolaire, " pour mes élèves de SEGPA, c'était très différent : j'avais l'impression de leur faire découvrir la mer pour la première fois... " s'attendrit le professeur. Surtout, ces apprentis philosophes ne prennent aucune note ; dès lors toute la structure du cours se retrouve bouleversée : " Á chaque séance, nous reprenions tous ensemble, oralement, l'essentiel du cours précédent. Et cela fonctionnait très bien, mieux qu'une interrogation écrite d'un quart d'heure avec mes élèves habituels. Cette pratique de la philosophie à l'oral m'a longtemps tourné dans la tête et je crois que je vais l'introduire dans mes cours dès la rentrée à venir ".

Autre différence : les élèves de " prépa " ou les lycéens, intellectuels en herbe, se nourrissent volontiers de polémique ( oui, mais...)ou d'ergotage jubilatoire ( non, moi, je trouve que...). Les adolescents de SEGPA, eux, semblaient chercher le sens avant l'affirmation de leur personnalité. " Il m'est arrivé plusieurs fois en Terminale de faire référence à mon expérience en SEGPA. Pour dire la soif de comprendre qu'avaient ces adolescents. Pour provoquer un peu mes élèves de Terminale. Finalement, ils étaient meilleurs que vous... ", s'amuse Jean-Pierre Zarader. Un homme exigeant que ce professeur : alors que l'on peut gager que l'expérience " Carré de Nature, Carré de Culture " aurait un succès comparable avec l'introduction de la sociologie, de l'ethnologie, de la psychologie (...) en classe de SEGPA ; alors que l'on peut se demander si la circulation de la parole ne contribue pas autant à la réussite de l'expérience que le (pré)texte philosophique qui libère cette parole, lui s'accroche mordicus à sa pratique de " médiateur de la philosophie ".

" Je suis parti des textes pour aller vers eux, et non l'inverse ", d'abord les oeuvres et montrer ensuite que les questionnements actuels des élèves s'inscrivent dans un corpus. " Ils entendaient parler de la philo pour la première fois, et ils parvenaient à en faire... Je n'ai jamais retrouvé cela par la suite. En fait, cette expérience m'a conforté dans la conviction que tout le monde peut véritablement faire de la philosophie, à condition de respecter une certaine rigueur : notamment enseigner dans une salle de classe - et pas un café, par exemple - et que la violence soit exclue du cours... ".

Propos recueillis par Thierry Kübler, journaliste