Quels finalités, modalités, questionnements pour l'Université populaire ?

7e Festival Philo-des-Champs, Sorèze (81), juillet 2005

7e Festival Philo-des-Champs, Sorèze (81), juillet 2005

Dans le flot des nouvelles pratiques philosophiques qui, depuis une quinzaine d'années, ont vu le jour dans notre société (société en mal de sens et dans laquelle la montée de l'individualisme appelle désormais l'individu à s'orienter dans la vie), nous trouvons l'initiative de Michel Onfray qui a fait de la philosophie le pôle structurant de son Université Populaire (créée à Caen en octobre 2002). Depuis, d'autres " Universités Populaires " incluant des activités philosophiques ont été instituées en France, notamment à Arras, Lyon et Narbonne. Réhabilitant cette volonté d'éduquer le peuple que l'on trouvait déjà dans le projet d'" écoles centrales " de Condorcet pendant la Révolution Française (corrélativement à l'idéologie des Lumières), puis au 19e siècle avec les " Bourses du travail " interprofessionnelles du mouvement ouvrier, enfin au sortir de la première puis de la seconde Guerre Mondiale avec les associations d'éducation populaire, Michel Onfray, poursuivant ce mouvement, a fait avec la philosophie dans une université populaire ce que Marc Sautet avait fait dix années auparavant avec les cafés-philo (renouant alors avec la tradition du café littéraire). Visant en priorité les publics exclus de la culture, l'Université Populaire est sous-tendue par quatre principes :

  • qualité du savoir (vulgarisation d'un travail d'expert) ;
  • gratuité pour les participants, liée au bénévolat des intervenants, qui permet à l'Université Populaire d'échapper à la logique de marché ;
  • accessibilité du savoir (problème de sa didactisation) ;
  • absence de cursus, aux sens scolaire et universitaire : aucun prérequis ni préacquis, aucun contrôle de connaissances, aucun examen.

Qu'en est-il aujourd'hui des finalités et des modalités de fonctionnement posé par ce type d'Université Populaire ? Quelles questions pose-t-elle ?

C'est en rompant avec l'Éducation Nationale que Michel Onfray a mis en place ce mode d'éducation a-scolaire. Malgré cela, il l'a étonnamment nommé " Université ". Comment alors échapper à la comparaison entre les universités " Populaire " et " Traditionnelle " ?

Deux univers différents pour une même discipline, c'est ainsi que la plupart des discutants du forum perçoivent ces deux universités quant à leur approche de la philosophie. Si l'une (l' " Université Traditionnelle ", " l'aînée ", " la grande " ...) fait autorité en matière de contenu, de savoir théorique pointu qu'elle élabore et déverse, l'autre semble s'en distinguer par sa propension au philosopher. Il en est une où l'on emmagasine pléthore de connaissances dictées par un lourd programme ; une autre où l'on peut se trouver en situation de philosopher. Opposé aux cafés-philo (auxquels il reproche l'absence d'un travail préalable qui permettrait une véritable réflexion " philosophique ") et aux cours magistraux de l'Université, trop ésotériques, Michel Onfray trouve un compromis et propose dans son Université Populaire une heure de conférence suivie d'une heure de débat.

On trouve aussi à l'Université Populaire de Caen (animé par G. Geneviève1) et de Narbonne (A. Delsol), d'Arras2 ou bientôt de Lyon, des ateliers philosophiques pour enfants. Il y a aussi dans celle de Narbonne un atelier de philosophie pour adultes (animé par M. Tozzi3), dans lequel on alterne discussions, écriture et débats d'interprétation à partir de textes philosophiques, trois façons différentes et complémentaires d'apprendre à philosopher : réciproquement engagés dans un processus d'auto-formation collective et démocratique, l'animateur, longtemps professeur de philosophie, et les participants amassent de concert les " éclats de bois " (sens étymologique du mot " atelier ") de leur réflexion.

Tournée vers d'autres finalités, l'Université Traditionnelle ne s'attarde guère à éduquer le peuple en l'initiant au " penser par soi-même ". A contrario, à Narbonne, l'intention première de l'Université Populaire n'est pas d'enseigner les grands philosophes mais plutôt de favoriser la mise en place de démarches de pensée propices à l'apprentissage du philosopher (problématisation, conceptualisation, argumentation). De plus, apprendre à philosopher c'est aussi se confronter à l'altérité. Plus proche de l'agora athénienne, l'Université Populaire permettrait cette rencontre avec l'altérité incarnée (une multiplicité d' " autruis " dans l'échange), susceptible de surprendre et partant de faire sortir des cadres toujours limités de la pensée individuelle. C'est en discutant avec l'autre ou par la mise en mots (orale comme écrite) que je rencontre l'autre en moi.

Contrairement à la philosophie universitaire traditionnelle, les formes alternatives que sont le café-philo et l'atelier de philo de l'Université Populaire permettraient d'apprendre à philosopher. Toutefois, si l'Université Traditionnelle ne s'embarrasse pas de débats d'altérités favorables à l'apprentissage du philosopher, l'Université Populaire ne doit pas pour autant se priver de l'expertise des universitaires. L'accompagnement de personnes désireuses de philosopher requiert un minimum de connaissances théoriques, de réflexion didactique, et encore une " fibre " que n'ont pas nécessairement tous les enseignants de l'Université.

S'il ressort de cette discussion que les Universités Populaires n'ont rien à envier à leurs aînées élitistes sur le plan du philosopher, quelques autres points se révèlent néanmoins perfectibles. Certaines interventions soulignent un manque de synergie entre les différentes Universités Populaires, une insuffisante rencontre de tous les efforts fournis. D'autres regrettent encore que les horaires choisis ne tiennent pas toujours compte de la population active. Enfin une inquiétude (un regret ?) émerge en filigrane : l'Université Populaire serait-elle faite pour des gens qui n'y viennent pas forcément ?


(1) Voir son article dans Diotime n° 26.

(2) C. Vasseur anime maintenant l'atelier à Arras : camille.vasseur@voila.fr

(3) Voir l'article qui suit.