Les cafés philo : que sont-ils devenus ?

Ci-dessous le débat introductif au séminaire des animateurs de café-philo

Introduction du débat

Le café-philo a-t-il encore un sens ?

À l'origine, il y a 13 ans, un dimanche matin de juillet 1992, quelques personnes cherchaient parmi les consommateurs à la terrasse du café des Phares, place de la Bastille à Paris, le "philosophe" qui donnait des consultations de philosophie au café. Il y avait méprise. Cependant, Marc SAUTET avait l'esprit d'à propos. Il leur dit : " De quel sujet de philosophie voulez-vous débattre ? ". C'est ainsi qu'est né fortuitement le café-philo dont la formule essaima essentiellement en France et en terres francophones.

Selon Marc SAUTET, notre mode de vie contemporain aurait beaucoup évolué, chacun ne sachant plus toujours s'y repérer avec ses valeurs. Il deviendrait donc nécessaire de les ré-interroger pour s'orienter, s'y diriger.

Huit ans après, le 25 novembre 2000, à l'occasion du second Colloque international sur les cafés-philo, organisé à Castres par l'association AGORA 81, Yannis YOULOUNTAS y proposait la délibération d'un texte, qu'il avait rédigé et qui avait été amendé la veille par les participants au colloque. C'est donc le lendemain matin que le texte fut plébiscité par une cinquantaine d'animateurs et débatteurs venus de France et d'étranger. En l'occurrence, il s'agissait de la Déclaration des cafés-philo. Ce texte n'avait pas pour objet de fédérer un mouvement, mais de rassembler, autour de quelques principes éthiques, des animateurs et débatteurs disposant ainsi d'un minimum de garanties pour débattre ensemble de philosophie, telles que :

  • L'ouverture à tous
  • La liberté de parole
  • La possibilité pour chacun de proposer un sujet
  • Le rejet des cours ou conférences
  • L'encouragement d'organisations collégiales
  • Le développement de l'esprit critique
  • Le respect de chacun
  • La vocation citoyenne.

Il s'agissait d'actualiser la formule de Denis DIDEROT : "  Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ! "

Or nous le savons, cette déclaration demeure un noble voeu, alors que la réalité reste prosaïque. La plupart du temps la philosophie y est prétexte : fréquemment il ne s'agit que d'assertions d'opinions ! Dans les faits, le café-philo est un lieu de lien social. Estimable tâche certes, pourtant insuffisante pour prétendre y philosopher. Cependant, ces lieux sont souvent devenus "tendance" pour personnes cherchant à se faire passer pour "intello.", pour animateurs "schizo et/ou parano", dont l'égocentrisme souffre du manque de reconnaissance sociale ! L'idée originelle de Marc SAUTET serait-elle donc mise à mal par la réalité ? Pourtant, elle s'opposait à l'université où une élite enseigne l'histoire des idées, la connaissance des oeuvres et de leur auteur, la critique d'une école de pensée du point de vue d'une autre. Serait-ce pour autant philosopher ? La question est récurrente : qu'est-ce philosopher ? Y répondre, est-ce suffisant pour y prétendre ?

De nos jours, l'humanité communique au point que nous sommes saturés d'informations. Pris dans notre course quotidienne domestique, nous accordons-nous la réflexion nécessaire pour les comprendre ? Trouvons-nous le temps de "consommer" -finalité de vie ! - aussi de la philosophie ? Pourtant, beaucoup d'entre nous semblent égarés dans leur modernité et réclament un "mode d'emploi" rendant heureux, puisque le bonheur est devenu un droit revendiqué ! Le café-philo n'aurait-il pas à faire découvrir qu'il en est tout autrement, à prendre par la main chacun d'entre nous pour qu'il entre en philosophie, afin de découvrir un sens à sa propre vie, à l'Univers, autrement qu'avec d'éternelles réponses "révélées" ou "clés en mains", prêtes à être crues ou consommées. Ne serait-il pas alors de la responsabilité des "schizos-paranos-mégalos" d'abandonner leur ego, pour faire comprendre que philosopher n'est pas gratuit, que populaire n'est pas synonyme de facilité, que temps et effort gratifient, non pas de reconnaissance sociale, mais du progrès des idées et des actes.

La Déclaration des cafés-philo, peut-elle devenir réalité ?

SYNTHÈSE DU DÉBAT QUI A SUIVI

Synthétiser n'est ni résumer ni conclure. C'est tenter de rassembler, en regroupant les idées, les arguments et réfutations qui ont été exprimés au cours des différentes interventions, de remarquer celles qui s'opposent, celles qui se complètent pour mettre en évidence l'enjeu du débat. La synthèse pose donc plus de questions que de réponses, d'autant que notre débat interroge nos concepts et praxis.

L'intentionnalité de la Déclaration des cafés-philo semble ici évidente pour les débatteurs. Il s'agit de clarifier la pratique des cafés-philo, afin qu'elle ne soit pas confondue avec des activités sectaires, anticléricales ou partisanes, d'en expliquer la volonté démocratique par quelques principes. Selon les intervenants, cette déclaration demeurerait pertinente. Ne reste-t-elle cependant qu'une intention ?

L'"état des lieux" ne peut prétendre à la généralité, faute d'études psychologiques et sociologiques globales. La diversité des singularités des cafés-philo locaux s'oppose à l'universalisme. Cependant, des points abordés semblent récurrents : telle l'image contrastée du café-philo présupposé soit pédant, soit doxique, affirmée par ceux qui n'y reviennent plus ; telle la pensée qui se voudrait subversive, s'opposant aux dogmes institutionnels, lieu de philosophie alternative ; telle la pratique où la convivialité serait fondamentale, la reconnaissance sociale un besoin ; ou quand la finalité doit être productive (comptes-rendus, publications, etc.).

Quoi qu'il en soit, honni ou adulé, est-ce en raison de réponse au besoin de lien social que nombre de cafés-philo ont essaimé en cafés-débats se diversifiant en cafés thématiques ?

Décrire le lieu n'est pourtant pas rendre compte du désir, du projet philosophique. S'opposant à l'élitisme, qui prétend au meilleur pour quelques-uns, il s'agirait, au contraire, d'une utopie où tous les participants accéderaient ensemble au meilleur de la réflexion philosophique, selon des principes démocratiques, tandis que la fin s'avérerait souvent différente pour chacun.

Est-ce pour autant gratuit ? Si le prix des prestations matérielles doit rester modeste, celui des prestations intellectuelles doit être totalement libre de toute obligation financière. Philosopher au café n'est objet ni de consommation ni de mercantilisme. Cependant, le libre accès à la parole n'est-il pas expression d'opinions ? La gratuité, est-ce facilité, accessibilité sans effort ? Est-ce donné de penser, réfléchir ensemble ? Pour quelle finalité ? S'agit-il d'un militantisme où il faudrait convaincre pour s'engager et engager l'autre au combat ? Nonobstant toute idéologie, débattre ensemble serait plutôt interpeller et se laisser interpeller. A minima, vouloir rencontrer la pensée de l'autre, celle qui dérange la mienne, qui me déstabilise, me dynamise, me fait progresser avec lui, par l'interaction. Ce minimum cependant réclame exigence. Mais la méthodologie est-elle suffisante pour garantir l'ambition philosophique ?

Si c'est aux moyens que se dévoile la fin, les différentes méthodes mises en oeuvre pour le débat à visée philosophique ne révèlent pourtant rien du projet. Pour aller où ? Vers quelle destination ? Quelle devenir pour le café-philo ? Construire la démocratie suffit-il à philosopher ?

Rappel de la DÉCLARATION DES CAFÉS-PHILO

Les acteurs du second colloque international de Castres, réunis le 25 novembre 2000, invitant à participer à des cafés-philo et à en créer, proposent les principes suivants :

Art. 1 - DU PUBLIC

Le café philosophique est ouvert à tous les publics, sans distinction de condition sociale, origine, âge, niveau d'étude et culture personnelle.

Art. 2 - DE LA PAROLE

Chacun a accès à la prise de parole dans le cadre de règles d'échange égalitaires favorisant la participation quels que soient les qualités oratoires, l'instruction, les connaissances, la culture, les difficultés d'élocution, les éventuels handicaps.

Art. 3 - DU SUJET

Les participants ont la possibilité de proposer un sujet et éventuellement de le présenter.

Art. 4 - DU DÉROULEMENT

Le débat peut s'appuyer sur un texte ou être précédé d'un exposé introductif permettant d'entrer dans la problématique du sujet ; la discussion postérieure évitant alors un dialogue systématique avec l'intervenant qui ne se positionne pas en conférencier.

Art. 5 - DE L'ORGANISATION

L'animation et la distribution de parole peuvent être l'objet d'une organisation collégiale, spontanée, convenue ou formée en association, ouverte aux désirs et à la volonté des participants.

Art. 6 - DE L'AUTONOMIE

Le café philosophique, espace neutre et laïque proposant la liberté de pensée et d'expression ainsi que l'écoute active et positive, est autonome vis-à-vis de tout groupe religieux ou politique et de leurs dogmes et doctrines. Ecartant toute forme de prosélytisme et de propagande, il permet de réfléchir ensemble afin d'essayer de penser davantage par soi-même.

Art. 7 - DE L'ÉTHIQUE

Le café-philo refuse les propos agressifs, péremptoires ou discriminatoires ainsi que les critiques nominatives, le dépassement des préjugés étant une condition essentielle à une vivacité féconde du débat.

Art. 8- DE LA CITOYENNETÉ

Les problématiques du café philosophique concernent également des questions de société ; pour une pratique citoyenne de la philosophie tournée vers l'humain, la cité et un progrès véritable, maîtrisé et choisi par tous.

Art. 9 - DE L'AVENIR

La présente déclaration n'a pas pour objet de fédérer les cafés philosophiques se reconnaissant ou souhaitant tendre vers ces valeurs et pratiques, mais d'influer sur l'évolution de ce phénomène de société que nous considérons comme une manifestation de la volonté populaire en matière d'expression, d'esprit critique et de démocratie. Ce texte sera porté à la connaissance de tous les cafés-philo qui voient régulièrement le jour partout en France et dans le monde.