La réflexion en éducation et formation

Ce texte est la transcription de la conférence introductive de Jean-Marc Ferry (professeur de philosophie à l'Université de Bruxelles, et traducteur de Habermas), prononcée le vendredi 23 mai 2003 au colloque international de Montpellier sur la question.

J'aimerais en particulier répondre à trois questions introduites ici par Michel Tozzi :

- comment parler d'une autorité pédagogique coopérative ?

- Comment peut-on faire du savoir à l'école quelque chose qui se discute ?

- À quelles conditions une pratique de la discussion peut-elle être formatrice ?

Michel Tozzi a bien ciblé les enjeux de mon interrogation. Cependant je ne parlerai pas de la signification politique de la discussion au sens où l'entend Habermas en particulier. Je pense plutôt me concentrer sur les caractéristiques logiques au sens large du modèle de la discussion dans une première partie. Sur sa portée pédagogique dans une deuxième partie.

UN MODÈLE DE LA DISCUSSION

Je commencerai donc par vous présenter le " modèle de la discussion ", comme on l'appelle, chez Habermas. Quelle en est la signification ? Dans une première partie je distinguerai trois points essentiels. Tout d'abord, en quoi consiste la pratique discursive introduite à partir de la théorie de l'agir communicationnel ? Ensuite, quelle est la valeur de la discussion en relation avec ce que j'appellerai l'intelligence critique ? En troisième lieu, et c'est aussi l'originalité du modèle d'Habermas, la reconstruction de présupposés de la discussion qui sont en même temps des anticipations dites " contrefactuelles " ou régulatives. Ce sont des idéalisations non pas au sens d'utopies mais au sens d'anticipations nécessaires pour le sens de la pratique. Qu'est-ce que l'on anticipe et qu'est-ce qu'on idéalise lorsque l'on discute, si l'on discute sérieusement ? Cela nous conduira à ce qu'Habermas appelle " situation idéale de parole ", ainsi qu'à sa conception d'un espace de discussion essentiellement conçu comme espace public politique et démocratique satisfaisant aux conditions d'autonomie, conditions qui valent pour des relations égalitaires entre personnes co-responsables. D'où le problème en ce qui concerne l'application du modèle de la discussion à la relation pédagogique. La question étant - et ce sera ma deuxième grande partie : le modèle de la discussion est-il et, si oui, dans quelle mesure, compatible avec l'asymétrie postulée de la relation pédagogique ?

1) Habermas distingue fondamentalement deux sortes d'agir. L'agir orienté vers le succès dit-il, et l'agir orienté vers l'entente. L'agir orienté vers le succès recouvre lui-même deux types de relations distinctes : la relation instrumentale et la relation stratégique. La relation instrumentale situe un mode d'action unilatérale, linéaire, qui déploie une rationalité technique, c'est-à-dire une rationalité qui consiste dans l'agencement des moyens requis pour la réalisation d'un but. Cela équivaut par exemple en sociologie au modèle wébérien de l'activité rationnelle par rapport à une fin ou rationalité téléologique. Cependant la relation stratégique est plus complexe que la relation instrumentale : nous sommes toujours dans des relations orientées vers le succès et non pas vers l'entente, car l'activité stratégique suppose une interaction entre deux partenaires capables de modifier à chaque fois leur comportement en fonction du comportement adverse. C'est par exemple le modèle de rationalité du jeu d'échecs. Du fait que la relation stratégique présuppose une interaction entre deux personnes, elle possède aux yeux d'Habermas un caractère social que ne présenterait pas la relation instrumentale, laquelle est appropriée au rapport technique de l'homme à la nature plutôt qu'au rapport pratique des hommes entre eux. Cependant la relation stratégique n'est pas la seule relation pertinente pour rendre compte du social. Le social pour Habermas se constitue sans doute dans des interactions humaines, mais ces interactions ne sont pas et ne peuvent pas être seulement de type stratégique. Plus fondamentalement les interactions, qui sont à supposer aux principes des sociétés, sont des interactions de type communicationnel.

Pourquoi " plus fondamentalement " ? Pourquoi des interactions communicationnelles seraient-elles plus fondamentalement constitutives du social que des interactions de type stratégique ? Parce que le modèle des activités stratégiques ne peut pas rendre compte de la genèse des institutions qui, à l'époque moderne, en autorisent le déploiement dans la société civile. Par exemple, le marché est une institution qui permet de libérer les intelligences stratégiques, mais ces institutions ne peuvent pas s'expliquer quant à leur genèse par des interactions stratégiques, elles ne sont pas le fruit d'interactions stratégiques. Elles fondent la possibilité d'interactions stratégiques, mais ne résultent pas d'interactions stratégiques. Les institutions de la société en général et de la société civile moderne en particulier ne sont compréhensibles dans leur genèse que sous la présupposition d'un agir communicationnel. Donc la thèse est celle-ci : seul l'agir communicationnel est proprement constitutif du social. Cela vaut dans le principe, bien que les individus, surtout dans les sociétés modernes, puissent agir, parfois même à titre principal, de manière stratégique, en vue par exemple de conquérir des biens, de l'argent, du pouvoir ou de l'estime1.

Habermas définit donc l'agir communicationnel comme une activité interactive orientée vers l'entente, et qui a pour fonction la coordination des actions et plans d'action entre des partenaires. Comme l'agir communicationnel, l'agir stratégique s'inscrit dans une interaction. Dans les deux cas, les acteurs sociaux ne sont pas seuls, ils ont des protagonistes. Mais à la différence de ce qui se passe dans une interaction de type communicationnel, les protagonistes d'une interaction stratégique agissent chacun pour soi. Dans l'interaction stratégique, l'acte intelligent ou efficient est celui qui sait utiliser les plans de l'adversaire pour servir à la réalisation de son propre plan d'action. Cela correspond à la figure de la ruse, qui apparaît en liaison avec la mécanique, chez Aristote, avec la technique, chez Hegel. Dans l'interaction communicationnelle, l'acteur intelligent ou compétent est celui qui sait concerter ses propres plans d'actions avec ceux de son ou de ses protagonistes. Ainsi, nous avons affaire à deux compétences différentes. Dans le milieu du langage, la compétence stratégique doit surtout permettre de repérer ce que l'on appelle des visées perlocutoires, un peu manipulatoires du protagoniste. Elle concerne les effets que celui-ci cherche à produire dans les comportements d'autrui par ses expressions ou ses actes de parole. La compétence communicationnelle doit permettre d'identifier les visées illocutoires par différence aux visées perlocutoires. Elle renvoie aux intentions de signification : qu'est-ce que je veux dire, qu'est-ce que je veux communiquer ? Il s'agit donc de se comprendre d'abord. Dans ce cas, le rapport au langage est discriminant pour distinguer l'agir communicationnel de l'agir stratégique. Pour l'agir communicationnel, le langage est élément de compréhension, le langage est le milieu par excellence de l'inter-compréhension, alors que pour l'agir stratégique le langage est plutôt instrument de manipulation.

Petite remarque : il existe évidemment des sociologies de l'agir stratégique. Par exemple, celle de Pierre Bourdieu qui semble presque essentiellement formée sur ce modèle. Habermas donne la préférence à une sociologie de l'agir communicationnel. D'abord pour des raisons métathéoriques ; seul l'agir communicationnel, et pas l'agir stratégique est constitutif du social, et ensuite parce qu'une phénoménologie intelligente de l'agir communicationnel permettrait,selon Habermas, de dégager de riches présuppositions logiques pour la philosophie morale comme pour la philosophie politique. Cela suppose que l'on pousse l'analyse au-delà de la fonction sociale de coordination des plans d'action qui définit primairement l'agir communicationnel. En effet, ces " riches présuppositions logiques " dont je viens de parler n'apparaissent vraiment qu'à l'analyse du développement réflexif que se donne l'agir communicationnel en tant que discussion. Pour Habermas, la discussion est un développement réflexif de l'agir communicationnel, une pratique discursive proprement dite. Et c'est là qu'apparaissent les riches présuppositions logiques pour la philosophie morale et pour la philosophie politique.

2) J'en viens à mon second sous-point de ma première partie sur la pratique discursive dans le rapport avec l'intelligence et l'intelligence critique en particulier. La discussion - c'est un mot que l'on traduit de l'allemand diskurs - n'est ni une négociation ni même une délibération. C'est plutôt une thématisation, voire une problématisation des prétentions à la validité qui sont émises dans l'interaction, y compris dans des interactions les plus ordinaires. Permettez-moi de donner l'exemple d'un cas trivial qui est d'ailleurs un exemple très proche de celui que donne Habermas. Si je dis à quelqu'un " va donc me chercher un verre d'eau s'il te plaît ", eh bien mon allocutaire peut problématiser cette demande sous plusieurs rapports et c'est ce qui intéresse Habermas. Par exemple mon allocutaire peut m'objecter " mais où vois-tu une distribution d'eau dans les environs ? ". Ce que l'on problématise dans ce cas-là, c'est la pertinence de cette demande par rapport au monde objectif. Ou encore " mais me prends-tu donc pour ton domestique ? ". On problématise ici non pas la pertinence par rapport au monde objectif, mais la convenance par rapport au monde de la légitimité, au monde social. C'est une deuxième direction. Ou encore " mais as-tu réellement soif ou veux-tu simplement m'humilier devant les autres par exemple ? " Là on ne problématise ni la pertinence par rapport aux objectifs, ni la convenance par rapport au monde social, mais l'authenticité par rapport au monde subjectif, la signifiance en quelque sorte par rapport au monde vécu du locuteur. Et c'est là que se dessine dans le quotidien l'architectonique du monde vécu, avec ses différents aspects du monde : objectif, social, subjectif, qui correspondent si vous y réfléchissez aux différents modes grammaticaux. Ce qui est : indicatif. Ce qui doit être : le gérondif (latin), et ce que l'on éprouve par rapport à ce qui doit être ou ce qui est : l'optatif ou le subjonctif. Et c'est là que se dessinent dans la maîtrise de cette différence modale les formes de l'intelligence critique. L'intelligence critique qui renvoie à cette compétence grammaticale de distinguer entre les aspects du monde, aspects différenciés sur des bases modales. Donc c'est ainsi, avec la problématisation que l'agir communicationnel se déploie en tant que diskurs : agir réflexif à l'égard des aspects différenciés du monde comme à l'égard de la validité problématique des expressions.

Ainsi, la discussion proprement dite problématise de façon interlocutive les prétentions à la validité émises de part et d'autres. Elle se stabilise à un niveau logique qui correspond dans le cas normal au registre de l'argumentation. L'argumentation est là envisagée comme pratique discursive plutôt que comme raisonnement déductif ou autre. Habermas ne s'intéresse pas à l'argumentation du point de vue de ses contenus intellectuels ou du point de vue de ses schèmes de raisonnement c'est-à-dire du point de vue logique ou logico-sémantique, mais du point de vue pragmatique des attitudes, des attentes, des anticipations des idéalisations, qui sont formées de part et d'autre chez les partenaires de la discussion. Donc c'est une approche pragmatique et non pas sémantique. Cela ne l'empêche pas d'être sensible à la logique mais entendue en un certain sens, pragmatique justement : Qu'est-ce que l'on fait quand on argumente, quand on discute, sur le registre de l'argumentation ? Or, ce que l'on fait, c'est justifier d'un côté et réfuter de l'autre.

Et c'est là qu'on arrive - mon troisième sous-point - aux présuppositions de cette pratique : les anticipations idéalisantes et les présuppositions régulatives. Habermas a justement avancé la notion intéressante d'une éthique procédurale de la discussion. Cela se laisse comprendre déjà de façon intuitive. L'éthique consiste dans une orientation du comportement, une disposition à sortir de soi, à faire ainsi l'expérience de ce que le philosophe, Edmund Husserl, appelait " transcendance immanente ". C'est une disposition qui procède d'une résolution simple que l'on aimerait voir plus répandue dans les milieux intellectuels, une disposition selon laquelle on cherche non pas à marquer des positions mais à clarifier des problèmes. De là seulement il devient possible de sortir de soi, c'est la transcendance en direction des raisons des autres. Le seul fait de rechercher authentiquement, sincèrement, la vérité de façon coopérative, sans mettre la barre trop haut, seulement en essayant de s'entendre sur ce qui est juste ou exact, implique déjà des traits comportementaux qui sont valorisés par la théorie morale du fait que cela marque un dépassement de l'égocentrisme et du narcissisme ordinaires. Ensuite, l'approfondissement analytique des présupposés d'une telle orientation vers une enquête coopérative chez les protagonistes d'une discussion, révèle le fondement d'une reconnaissance réciproque. Il est en effet impossible - et c'est une thèse que Habermas essaye de défendre contre le cynisme ambiant - d'engager sérieusement une discussion avec quelqu'un sans lui avoir présupposé la qualité d'un alter ego entendu au sens d'un autre qui peut toujours s'opposer à vous-même et contester vos propositions sur la base de bonnes raisons. Il est impossible d'engager sérieusement une discussion avec quelqu'un sans assumer par principe que vous pouvez apprendre de lui peut-être autant qu'il peut lui-même apprendre de vous.

Ce sont de ces présupposés, qui ne sont rien de plus mais rien de moins que les postulations nécessaires à l'analyse du sens des pratiques discursives, que Habermas a voulu s'autoriser pour proposer une modélisation de situation idéale de parole. La question est celle-ci : " Qu'est-ce que je présuppose pratiquement dès lors que je m'engage sérieusement dans une discussion avec quelqu'un ? " Nous avons recours à un mode de réflexion qui est un peu comparable à celui de Kant, par exemple, dans ses Fondements de la métaphysique de moeurs : de même, en effet, que pour Kant rien ne prouve qu'il existe dans le monde une bonne volonté au sens d'une valeur morale absolue, de même rien ne prouve non plus pour Habermas qu'il ait jamais existé dans le monde une pure disposition à sérieusement discuter, c'est-à-dire une vraie discussion. La problématique ici n'est pas sceptique mais critique. Critique, à savoir non pas : " Existe-t-il vraiment quelque part une vrai discussion ? ", mais : " Jusqu'où nous conduisent pour une construction d'un modèle de discussion les présuppositions d'une vraie discussion ? ". La situation idéale de parole se laisse donc modéliser en fonction de la réponse à la question : " Qu'est-ce que nous engageons, qu'est-ce que nous investissons dans une vraie discussion ? Quelles suppositions, quelles anticipations, quelles idéalisations ? ".

J'aborderai deux points à ce sujet

1) D'abord le point de vue des dispositions des individus, acteurs, sujets ou locuteurs. Quatre points quant à ce que, de leur point de vue, censément, on suppose, anticipe et idéalise.

- Nous pouvons nous comprendre, ce n'est pas impossible a priori. Donc nous pouvons partager un même monde. Sinon on ne discute pas, ce n'est pas la peine.

- Nous sommes sincères, nous ne trichons pas, sinon nous ne discutons pas non plus. Ça ne veut pas dire qu'on est vraiment sincère, ça veut dire que si nous ne postulons pas qu'on est sincère, ce n'est pas la peine de discuter.

- Nous nous respectons mutuellement, donc nous nous écoutons.

- Nous cherchons à nous entendre entre nous au titre de ce que nous acceptons pour valable, c'est-à-dire exact, pertinent, correct, vrai. Donc cela signifie que nous nous situons sous la loi de ce que Habermas appelle l'argument meilleur (en attendant un meilleur, sachant qu'il n'y a pas d'argument définitivement meilleur).

2) Ensuite, quelles sont ces suppositions, ces idéalisations, des modélisations non pas du point du vue des acteurs mais du point de vue de la situation de parole.

- Les partenaires sont égaux en ce qui concerne le droit de s'exprimer.

- Les partenaires disposent de chances égales de faire valoir leurs points de vue face aux autres.

- L'espace de discussion est autonome, c'est-à-dire qu'il n'est pas soumis à des impératifs ou des contraintes externes autres que la " contrainte non contraignante " de l'argument.

- La vérité n'est pas détenue en certains mais elle est engagée entre tous. Donc il y a une relation symétrique.

Il ne s'agit pas pour Habermas de dresser une utopie éthico-politique, il ne faut pas se tromper sur le statut de cette construction : il s'agit de dégager les présuppositions d'une pratique discursive au titre de ses anticipations inévitables. Il en résulte un ensemble de principes qui ont à la fois une valeur régulative et un statut dit " contrefactuel ".

Une valeur régulative : cela signifie que ces principes précisent un horizon de sens pour la pratique. Un statut contrefactuel : cela veut dire que ces principes ne décrivent pas une situation réelle ou factuelle mais les conditions légitimement attendues. Je donne un exemple : lorsqu'on dit " tout prévenu est présumé innocent tant qu'il n'a pas été reconnu coupable. " C'est un exemple dans un autre domaine. Ce principe reste vrai même si nous savons que le prévenu est coupable. Donc c'est cela le contrefactuel. De même, le premier article de la déclaration universelle des droits de l'Homme : nous savons très bien que les hommes ne naissent pas libres et égaux en dignité et en droits, hélas ! Si c'est un énoncé empirique, il est complètement absurde. Si c'est un énoncé contrefactuel régulatif, il est plein de vérité. D'où l'intérêt de l'intelligence critique qui fait la différence entre les modes.

Il se trouve que les présupposés de la discussion tels qu'ils sont modélisés par une situation idéale de parole rencontrent largement les caractéristiques d'un espace public structuré suivant les principes démocratiques. Cela convient évidemment à la relation politique entre citoyens. Mais alors le modèle de la discussion est-il transposable à la relation pédagogique entre professeurs et élèves ? Et dans quelles limites.

MODÈLE DE LA DISCUSSION ET PÉDAGOGIE

Voici donc la deuxième question, le deuxième axe de mon exposé. Le modèle de la discussion est-il compatible avec l'asymétrie de la relation pédagogique ?

Trois sous-parties. D'abord j'opposerai les conceptions traditionalistes et les conceptions modernistes de la relation pédagogique. Ensuite je parlerai des vertus du modèle de la discussion dans la relation pédagogique. Après quoi, les limites.

1) Sur l'opposition entre conception traditionaliste et conception moderniste. Ce n'est pas possible, je crois, d'éviter la question de la compatibilité de la relation pédagogique avec l'esprit moderne en général, un esprit qui de fondation met le savoir au service de la critique et du donné. Un esprit qui promeut une nouvelle idée de l'homme, égalitaire, qui met en exergue les valeurs de l'autonomie et du self-government. Non seulement cet esprit peut rendre problématique des pans entiers de l'héritage classique, mais il soulève également le problème de l'éducation moderne, de l'éducation à l'autonomie. On connaît peut-être l'interrogation, à cet égard, de Jean Piaget : " Comment cette éducation à l'autonomie est-elle possible sur une base relationnelle asymétrique ? " L'adulte, figure de l'autorité, risquerait en effet d'être davantage un obstacle au développement qu'une ressource, s'il est vrai comme le pensait Piaget (Le développement moral chez l'enfant) que le développement de l'enfant sur la voie d'une décentration, d'une coopération et d'une autonomie croissante, est le produit d'interactions élémentaires avec ses pairs. La pédagogie moderne en général, de Pestalozzi à la Pédagogie Institutionnelle des années 60, vise à transposer le modèle de l'Émile de Jean-Jacques Rousseau à un enseignement public poursuivant entre autres l'éducation du citoyen. Dans ce cas la logique de l'instruction risque d'entrer en conflit avec celle de l'éducation, s'il est vrai que dans l'éducation au sens de l'Émile le savoir ne prend place que pour autant qu'il peut apparaître au sujet comme une réponse aux besoins spontanés qui surgissent au cours de son développement individuel. Cela veut dire - et c'est une parenthèse importante - que Rousseau n'avait pas conçu l'Émile dans l'esprit d'une éducation du citoyen à la démocratie, ce qui nécessiterait au contraire une véritable dénaturation de l'homme à ses yeux, l'exercice d'une sévère contrainte sur l'enfant. L'Émile s'adresse plutôt dans un contexte caractérisé par l'absence de patrie où il s'agit de former l'homme et non pas le citoyen. L'Émile n'est en aucun cas la transposition pédagogique des principes du Contrat social. C'est donc par l'effet d'un malentendu qu'une certaine pédagogie moderne a pu prendre des principes de l'Émile comme modèle de référence pour l'éducation publique. Cela pose énormément de problèmes, évidemment.

Mais, quoi qu'il en soit, il n'empêche que l'esprit moderne est porteur d'une idéologie, une idéologie démocratique qui dans bien des aspects semble entrer en contradiction avec le sens et la nature profonde de la relation pédagogique. C'est par exemple ce dont Hannah Arendt était convaincue au point de s'inscrire complètement contre la tentation de prendre la relation démocratique comme paradigme de la relation pédagogique. Voici (c'est une citation un peu longue mais je crois que ça vaut la peine) ce que H. Arendt écrivait à ce propos dans La crise de la culture : " Dans le monde moderne, le problème de l'éducation tient au fait que par sa nature même l'éducation ne peut être fille ni de l'autorité ni de la tradition et qu'elle doit cependant s'exercer dans un monde qui n'est pas structuré par l'autorité ni obtenu par la tradition. "

Mais ajoutait-elle : " Cela signifie qu'il n'appartient pas seulement aux éducateurs et aux professeurs mais à chacun de nous dans la mesure où nous vivons ensemble dans un seul monde avec des enfants et avec des jeunes d'adopter envers eux une attitude radicalement différente de celle que nous adoptons les uns envers les autres. Nous devons fermement séparer le domaine de l'éducation des autres domaines et surtout de celui de la vie politique et publique et c'est au seul domaine de l'éducation que nous devons appliquer une notion d'autorité et une attitude envers le passé qui lui convienne mais qui n'ont pas une valeur générale et ne doivent pas prétendre détenir une valeur générale dans le monde des adultes. "

Position très carrée. Hegel, dont Arendt a pris seulement la moitié du propos, à mon avis, pensait lui-aussi que l'éducation de la jeunesse requiert la scission d'avec le monde ambiant et l'esprit ambiant du monde moderne : " Pour devenir objet, la substance de la nature et de l'esprit doit avoir reçu la forme de quelque chose d'étranger. " C'est une pensée forte de Hegel, centrale. Hegel posait le problème de la séparation nécessaire : " Malheureux est celui qui a vu son monde se détacher de lui devenir étranger, cependant, cette exigence de la séparation est si nécessaire qu'elle s'extériorise en nous comme une tendance universelle et bien connue, la jeunesse se représente comme une chance de quitter son chez soi et d'habiter avec Robinson une île lointaine. "

Allusion à la nécessité des études classiques. Il était convaincu qu'il fallait " introduire dans le jeune esprit un monde éloigné, étranger, car ce monde qui nous sépare d'avec nous-même (il pensait au monde classique) contient en même temps tous les points d'ancrage initiaux et le fil conducteur du retour à nous-même mais avec nous tels que nous sommes selon le sens universel vrai de l'esprit ".

Autrement dit avec l'humanité historique en général. L'esprit moderne, pour se ressaisir lui-même, a besoin de se réfracter à la lumière des autres mondes et du monde ancien en particulier. Cette scission est pour Hegel la condition même de la réflexivité et de la compréhension intelligente de soi. C'est pourquoi à la différence de Arendt, Hegel refusait de faire de l'école le lieu protégé de l'autorité et de la tradition tandis qu'il récusait au moins autant l'école répressive c'est-à-dire l'éducation à l'ancienne que les valeurs laxistes, les tendances modernes.

Quelques mots juste sur ces deux erreurs

Contre l'erreur répressive l'éducation doit représenter selon lui un accompagnement et un soutien plutôt qu'une répression et un accablement. Son principe régulateur est la formation à l'indépendance tout autant que la culture de l'autonomie. Donc c'est moderne. Hegel va jusqu'à affirmer, et cette phrase est à prendre au pied de la lettre : " Ce qui convient le moins c'est un ton qui exclut la liberté (il parle de la relation pédagogique) et une société de gens qui étudient ne peut être considérée comme un rassemblement de domestiques. "

Mais contre l'erreur laxiste il affirme également le besoin d'obéir de l'enfant, le besoin d'être éduqué qui existe chez les enfants sous la forme d'un sentiment qui leur est propre, celui de l'insatisfaction d'être tels qu'ils sont. Et Hegel insiste sur ce besoin d'obéir. Apparemment pour Hegel le modèle dialogique égalitaire n'est pas approprié à la relation pédagogique :

" Ne pas vouloir contrarier les enfants, raisonner avec eux pour obtenir par la persuasion leur consentement à telle ou telle mesure, pratiquer comme principe de l'éducation la seule bonté étant elle-même identifiée au choix d'une pédagogie attrayante, celle du jeu, c'est apparemment aimer les enfants, il est plus facile de les aimer que de les éduquer, mais c'est pour les parents penser d'abord à leurs propres commodités. "

Pour Hegel, il est clair encore une fois que les enfants ont besoin que les adultes sachent face à eux assumer leur monde d'adultes et partant l'asymétrie de la relation pédagogique. Hegel parle ainsi " du penchant qui incite les enfants à appartenir au monde des adultes, monde qu'ils pressentent comme supérieur au leur ou encore le désir de devenir grand. " Hegel situe là pleinement la relation pédagogique en tant que relation asymétrique et c'est peut-être lui qui a conçu avec la plus grande profondeur la raison de cette asymétrie. C'est ça qui est intéressant : ne pas en rester au stade, si j'ose dire, de Hannah Arendt.

Jean Hyppolite, grand commentateur de la Phénoménologie de l'esprit donne une indication utile à propos de la philosophie de Hegel en soutenant que c'est au niveau même de son geste fondamental qu'elle serait une philosophie de l'éducation. Il a pu écrire que " le problème qui se pose dans la Phénoménologie n'est pas le problème de l'histoire du monde mais le problème de l'éducation d'individus singuliers qui doivent nécessairement se former au savoir en prenant conscience de ce que Hegel nomme sa substance. " Hyppolite ajoute que c'est là une tâche proprement pédagogique. À cela Bernard Bourgeois objecte que " la Phénoménologie de l'esprit ne peut éduquer la spéculation d'une conscience philosophique déjà gagnée à la spéculation et qui n'est donc pas à éduquer ". Donc Bernard Bourgeois prend le contre-pied. À mon avis il se trompe, parce que certes la Phénoménologie est bien un texte qui s'adresse aux philosophes, évidemment, mais elle n'en a pas moins pour contenu le chemin de la conscience naturelle qui subit une impulsion la poussant vers le vrai savoir.

Or, si je fais cette petite digression à propos de Hegel au sujet de sa philosophie et en particulier de la Phénoménologie de l'esprit comprise comme philosophie de l'éducation, eh bien, c'est parce que cette référence peut à mon avis nous aider à cerner la difficulté contenue dans le projet même typiquement moderne d'une éducation à l'autonomie. Il faut prendre ce problème vraiment au sérieux. Et là, désolé, j'ai le sentiment de ne pas pouvoir expliquer assez bien ; je vais donc faire appel à toute votre attention, mais cela fait très largement écho à ce qu'avait dit Michel Tozzi :

D'une part il est clair que dans la relation pédagogique initiale entre l'enfant et l'adulte, le savoir scolaire mais également l'autonomie réalisée sont entièrement du côté de l'adulte. D'autre part, ce que l'enfant apprend en devant même se soumettre à une discipline qui lui est imposée de l'extérieur est cependant un savoir qu'il s'approprie effectivement et qu'il s'approprie par lui-même. Hegel disait que penser par soi-même ne veut rien dire, que c'est tautologique, si on pense c'est forcément par soi-même.

Cette auto-appropriation fait précisément la différence entre un processus de formation au sens hégélien et une simple inculcation. L'éducation est évidemment une formation et non pas inculcation. Il n'y a alors pas contradiction entre d'une part l'asymétrie de la relation pédagogique impliquant discipline et autorité et d'autre part l'autonomie du processus de formation comme de son résultat attendu. Car encore une fois ce que l'enfant apprend il se l'approprie effectivement par le propre mouvement de sa réflexion, et cela même si le contenu du savoir ainsi que la méthode d'acquisition ne sont pas produits de sa spontanéité et lui sont initialement opposés de l'extérieur.

C'est ce point difficile qu'il faut comprendre. Cela correspond chez Hegel au mouvement même de la dialectique en général, à la réappropriation de ce qui était objectivé, de l'apparence objective. Il n'y a pas de liberté réalisée sans aliénation, pas d'autonomie sans dépendance initiale, faute de quoi le savoir n'aurait pas de substance. Or, dans son fond, ce que je veux dire en ayant fait ce détour par Hegel, c'est que ce mouvement d'appropriation revêt la signification d'une confrontation avec les contenus extérieurs. Lorsque par exemple, on est aux prises avec des contradictions ou tout au moins des dissonances qui font obstacle à la compréhension. Et même lorsque cette confrontation avec les contenus extérieurs, par exemple une nouvelle expérience, de nouvelles informations, font allure de confrontation avec soi-même, lorsqu'il s'agit d'une confrontation intérieure, il est toujours possible d'en reconstruire la logique dans les termes d'une théorie de la discussion. Je pense que c'est la vérité pragmatique de la Phénoménologie de l'esprit : fondamentalement, un procès de discussion avec des divisions déchirantes qui expliquent le passage d'une position à une autre, ce que Hegel nomme négation déterminée, travail du négatif.

2) Donc j'en arrive au deuxième sous-point des vertus de ce modèle qu'est la relation pédagogique. La discussion est compatible avec une relation, et j'insiste sur le mot, contre-factuellement asymétrique : il n'y a pas de contradiction entre les présupposés de la discussion, par exemple, l'égalité dans la prétention à la vérité, et les présupposés de la relation pédagogique, c'est-à-dire, par exemple, au sens lacanien, l'existence d'un supposé savoir. Il n'y a pas de problème à assumer que la discussion est compatible avec une relation factuellement asymétrique. À la limite toute relation réelle est asymétrique, toute relation est factuellement asymétrique. Une égalité absolue de fait entre deux partenaires, ça n'existe pas. Donc pas de problème de compatibilité entre le modèle de la discussion et le fait de l'asymétrie de la relation.

En revanche le problème se pose seulement quand on postule le caractère asymétrique de la relation afin de faire droit au sens de la relation. Ainsi on va poser que la relation pédagogique est asymétrique, que l'enseignant sait et que l'enseigné ne sait pas, quelle que soit la situation de fait d'ailleurs quant aux connaissances en présence. Dans cette mesure, les présupposés égalitaires de la discussion semblent incompatibles avec le sens de la relation pédagogique. Cependant, et c'est là une thèse un peu subtile, l'égalité présupposée par la discussion n'est pas une égalité dans les compétences, dans le savoir. C'est une égalité devant la vérité. Une égalité devant ce qu'Habermas appelle la loi de l'argument meilleur.

Une différence donc importante à marquer entre égalité dans la connaissance et égalité devant la vérité. L'autorité de l'enseignant s'assortit d'une inégalité postulée de la connaissance entre l'enseignant et l'enseigné. Cependant cette autorité ne se conçoit que sur fond d'une référence partagée à la vérité, qui n'est par principe pas moindre chez l'enseigné que chez l'enseignant.

Donc entrer en discussion est justifié de façon interne par la logique de l'apprentissage dans la mesure (et là c'est une autre distinction bien connue dans la philosophie analytique du langage et de la signification) où la compréhension de ce que dit l'enseignant est inséparable d'une acceptation du contenu transmis au titre de ce qui est vrai.

Je précise ce lien interne entre compréhension et acceptation. Pour Habermas la discussion fait apparaître le lien interne entre ce qu'il appelle intercompréhension (comprendre ce que l'autre dit et réciproquement) et entente, se mettre d'accord. C'est-à-dire qu'au fond il y a un lien entre compréhension et vérité. Ce qui ne va pas de soi. Je veux dire par là qu'à un certain niveau réflexif, il devient impossible à deux protagonistes d'une discussion de se comprendre mutuellement sans par là-même devoir s'accorder sur les conditions de vérité d'énoncés formés à propos de l'objet dont il est question. Pour le dire autrement dans les termes de la philosophie analytique, il est impossible à l'enseigné de simplement comprendre ce que dit l'enseignant s'il ne comprend pas ce qui doit se passer pour que ce que dit l'enseignant soit vrai. D'où la nécessité pour l'apprentissage lui-même de problématiser les contenus transmis dans la relation pédagogique.

La discussion peut donc être regardée comme la condition d'une appropriation réflexive ou critique des contenus transmis. Alors cela peut s'expliquer à trois niveaux :

- un niveau psychologique : mobilisation de l'intérêt. La discussion est un jeu de langage qui inclut la controverse et, ce faisant, rend sensible à tout un chacun les enjeux. C'est très valable pour la mobilisation de la citoyenneté. C'est largement dans la mesure où la discussion permet de mettre en scène les investissements affectifs du côté de la justification comme du côté de la contestation, qu'un auditoire peut se sentir mobilisé, appelé à prendre position, à s'identifier successivement aux arguments qui se confrontent. On acquiert là une intelligence de la question tout en faisant l'expérience de la force spécifique des arguments mais aussi de leurs valeurs, de cette contrainte disait Habermas spécifiquement non contraignante qu'est la contrainte logique, étant entendu qu'il s'agit d'une logique informelle. Le fait de s'engager dans une procédure argumentative, ne serait-ce que mentalement, est moralement formateur, car l'éthique de la discussion, outre qu'elle forme aux médiations de la raison, est inséparable d'une éthique de la vérité, laquelle représente l'un des lieux prépondérants de ce que l'on pourrait appeler emphatiquement la transcendance modérée.

- Un niveau pragmatique : la vertu est le dépassement de l'égocentrisme. La discussion est un opérateur de ce que Kant nommait " mentalité élargie ", et Arendt, " pensée représentative ", Piaget, " décentration ". La discussion permet d'élargir l'horizon cognitif de chaque subjectivité en incitant chacune à se mettre mentalement à la place d'autrui.

- Un niveau logique : c'est l'accès à l'intelligence critique. La décentration conduit à faire reconnaître le caractère perspectiviste de la connaissance. C'est-à-dire l'importance du point de vue pour la connaissance de la chose. Et là comme ailleurs je tiens à préciser que le perspectivisme de la connaissance ne doit pas être confondu avec le relativisme de la vérité. Le perspectivisme n'implique pas que la vérité soit quelque chose de subjectif, de relatif à chaque point de vue, mais plutôt qu'un même énoncé, qu'un même contenu propositionnel puisse revêtir des statuts fort différents de signification, des valeurs inégales en fonction du registre modal sur lequel il est pensé. Je pense à ce que dans le langage courant on appelle le " second degré ", par exemple. On s'intéresse à ce qui conditionne la force illocutoire du propos. Quel en est le statut ? Par exemple, tout à l'heure j'ai évoqué le premier article de la Déclaration universelle des droits de l'homme : il est simplement faux ou trompeur en tant que simple énoncé descriptif ou constatif. Il est pourtant plein de vérité en tant qu'énoncé normatif et régulateur. Et celui qui se croit malin en dénonçant l'hypocrisie des droits de l'homme passe aux yeux de l'intelligence critique pour un crétin... L'épistémologie contemporaine reconnaît la valeur constitutive pour la validité de cette variable perspectiviste. Variable perspectiviste fondée dans la différence grammaticale des modes et qui renvoie à ce que l'on nomme " aspectualité " ou encore " intensionnalité ", peu importe le jargon de la philosophie analytique. On peut même soutenir que cette variable perspectiviste est la variable discriminante de l'intelligence critique en général.

3) Juste un mot pour terminer sur les limites de ce modèle de la discussion. La discussion n'est qu'une puissance logique de thématisation et de problématisation, c'est en fait la réflexivité en marche, elle est donc l'organon de l'intelligence critique pour les raisons que l'on a mentionnées. C'est aussi pour cette raison que Hegel attache une telle importance à l'étude de la grammaire, " philosophie élémentaire ", disait-il, qui doit être voulue comme un but et non pas comme un moyen. Cela implique une tendance naturelle de la discussion à retourner la thématisation sur ses propres conditions d'exercice. C'est peut-être un piège, un danger, la discussion devient alors auto-référentielle, elle tend à thématiser les raisons des malentendus qu'elle a pu développer, c'est-à-dire à se retourner de façon auto-réflexive sur son propre parcours : " Qu'avons-nous dit ensemble ? Pourquoi ne nous sommes nous pas compris ? D'où viennent les malentendus ?... ". À ce niveau de questionnement, la discussion n'a plus d'autre objet à la limite qu'elle-même, elle est résolument autoréférentielle, et sa thématisation porte alors sur les ressorts profonds et obscurs de l'acceptation.

Or cela engage l'introspection dans des zones infra-discursives, infra-propositionnelles, prè-symboliques. On raconte ce que l'on a ressenti et on tombe sur des phénomènes par exemple associatifs ou transférentiels. Ce sont là des grammaires antérieures à celles du langage public. Le langage public, c'est deux grammaires essentiellement : la grammaire de nos manuels scolaires, celle de la différenciation verbale suivant les modes, les personnes, les voix, etc, et la grammaire de l'intelligence critique, de la validation, de la problématisation discursive, c'est-à-dire de la distinction entre des ordres de la validité. Deux grammaires, la grammaire syntaxique et la grammaire critique. Mais je parlais de grammaires " antérieures ", c'est-à-dire infra-propositionnelles. Là on a affaire à des grammaires intimes, " privées ", présyntaxiques et précritiques : celle des évocations d'images et celle des imputations de rôles. Nous abordons les zones du langage privé et partant de la vulnérabilité intime. Le rapport relève alors peut-être d'autres méthodes que celles de la discussion et dépasse le cadre scolaire de la relation pédagogique.

(Transcription effectuée par Sylvain Connac et revue par Jean-Marc Ferry)


(1) Il semble que l'évolution vers les sociétés post-industrielles se marque par une prépondérance croissante des activités communicationnelles. On parle de dématérialisation, d'activités immatérielles. Or, elles sont essentiellement communicationnelles. De plus en plus, l'essentiel des réalisations sociales au sens large, qu'il s'agisse de la politique, de la culture ou de l'économie elle-même résulte strictement d'actes de parole, d'actes de discours, lesquels tendent à assurer jusqu'à la reproduction matérielle de nos sociétés dans une très grande mesure.